Vendredi 22 mars 2013. Ce soir, j’avais rendez-vous avec un homme merveilleux. J’ai découvert qu’il avait été interné…

20h15, à la MC2: de Grenoble, je m’installe à ma place, très heureuse de passer cette soirée avec l’Homme de ma vie. En voyant arriver des groupes de lycéens accompagnés de leurs professeurs, je souris en imaginant que la plupart vont sûrement assister à leur première représentation de Cyrano. Je me revois alors dans la petite salle d’un cinéma de Beauvais, avec mes parents. J’ai 12 ans, je les accompagne voir le film de Jean-Paul Rappeneau, avec Gérard Depardieu. Le texte est respecté, le film est en alexandrins. Mes parents ont peur que je m’ennuie. Je suis émerveillée… Le lendemain, avec mes quelques francs d’argent de poche, j’achète une édition en poche de l’œuvre d’Edmond Rostand. Au fil des années, toujours avec moi, ses pages se cornent et se remplissent de commentaires et de souvenirs… Cyrano est ma Bible.

La salle de la MC2: se remplit rapidement. En pénétrant dans le théâtre, j’ai attrapé machinalement le programme de la soirée qu’une hôtesse me tendait. Pour patienter, je le feuillette distraitement, sans le lire. Je connais Cyrano.
Soudain, les lumières s’éteignent et le silence se pose respectueusement.

20h30, des néons éclairent violemment le réfectoire d’un hôpital. Après l’entrée en trombe de personnages hirsutes, errant en survêtements ou pyjamas, plus hébétés les uns que les autres, Cyrano jusque-là, assis dos au public dans un fauteuil placé au milieu de la scène, surgit… en jogging sombre et marcel blanc.
J’accuse le coup et je me cale dans mon fauteuil, perplexe face à ce choix de mise en scène. Le choc passé, le texte que je connais par cœur m’aide à oublier un peu le décalage temporel et le détournement psychiatrique. Par moment, je ferme les yeux pour n’entendre que ces vers qui ont marqué ma vie. Mais le jeu des acteurs ajoute des notes burlesques, accentue désagréablement l’humour, tourne en ridicule l’héroïsme comme la séduction. « We are the champions » de Queen s’échappe d’un vieux juke-boxe, puis « Your song » d’Elton John. La « Ballade du duel qu’en l’hôtel bourguignon Monsieur de Bergerac eut avec un bélître » est transformée en une vulgaire bagarre au couteau. La fabuleuse scène du balcon, remplacée par un chat vidéo via skype, est mimée par un Christian grimaçant derrière son écran… Et les rires du public me ramènent inexorablement dans cet asile.

Jusqu’à la fin, jusqu’à cette sublime scène où Cyrano s’effondre, je suis restée déconcertée par cette mise en scène, attendant peut-être une « justification » évidente du choix de Dominique Pitoiset. Elle n’est pas arrivée. Dépouillant Cyrano de sa noblesse, transformant le romantisme en mièvrerie, la fierté en arrogance, je n’ai perçu finalement qu’un intérêt à cette transposition contemporaine démente : celui de limiter le nombre des acteurs sur scène permettant à la plupart d’entre eux, dans leur délire, d’interpréter plusieurs rôles.

Quand les lumières s’éteignent, j’ai juste envie de m’enfuir. J’enfile mon manteau mais l’ovation du public me paralyse… Je regarde alors, déconcertée, ces gens debout, ravis, applaudissant. Le calme revenu, je me faufile à travers la foule. Les sourires des lycéens me réconfortent, leurs commentaires enthousiastes attrapés au vol dans les bousculades aussi. Je n’ai pas retrouvé Mon Cyrano mais celui-ci semble leur avoir plu. Demain, peut-être certains d’entre eux iront acheter l’œuvre de Rostand…